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Boismortier des villes et des champs

 

Les Menus-Plaisirs du Roy

Jean-Luc Impe

 

Divertissements de Campagne / Joseph-Bodin de Boismortier

 

 

Programme de l'enregistrement des Menus-Plaisirs du Roy pour le label Musica Ficta

(Date de sortie : février 2015)

 

 

Air gai

 

Air chanté : Pleurez mes yeux

 

Prélude en sol

Menuet 1 et 2

Passepied

Air tendre

Rondeau

Gavotte

Tambourins 1 et 2

 

Prélude flûte seule

Courante

Rondeau

 

Air chanté : Si ma mort

 

Rondeau

Sarabande

Gavotte

 

Gracieusement / Chantez avec moi ma musette

 

Prélude en do (version flûte)

 

Air chanté : Bergère, aimez à votre tour

 

Rondeau do min

Sarabande

Menuet varié

 

Prélude en do (version musette)

Rondeau

Menuets 1 et 2

Gigues 1 et 2

 

Air chanté : Ah ! le charmant berger

 

 

 

 

 

« Il est venu dans le bon temps ; on était assoiffé de ces badinages agréables qui font un très joli effet sur les flûtes et les musettes ; il a profité de la mode courante et s’est servi doublement de son génie. » (Pierre-Louis d’Aquin de Château-Lyon, Siècle littéraire de Louis XV ou Lettres sur les hommes célèbres, 1753).

 

           La musique de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) offerte dans le très bel enregistrement des Menus-Plaisirs du Roy ne se borne-t-elle vraiment qu’à des « badinages agréables » ? Le cliché a la vie dure… Lorsque Pierre-Louis d’Aquin lançait cette sentence avec un brin de malice, en 1753, Boismortier venait à peine d’achever sa carrière de compositeur, en laissant derrière lui un catalogue des plus impressionnants. Malgré tout, aux yeux et aux oreilles de ses contemporains, son œuvre ne semblait déjà  plus appartenir qu’à un passé révolu. Rapidement  il tomba dans l’oubli et ne resurgit que deux cents ans plus tard, telle une manne providentielle et généreuse pour les flûtistes et hautboïstes débutants, amateurs de musique baroque aseptisée et facile, jusqu’à ce que certains osent enfin faire entendre ses grandes œuvres lyriques, ses motets ou ses cantates,  et que l’on découvre la manière juste de faire sonner ses œuvres sur les flûtes, les hautbois et les bassons de son époque, et, bien sûr, sur les vielles et les musettes que d’aucuns considéraient souvent comme de « pauvres engins musicaux » (Michel Brenet, Les Concerts en France sous l’Ancien Régime, Paris, Fischbacher, 1900, p. 211) ou « entièrement dénués d’expression et trop voués à l’exécution de morceaux d’un art rudimentaire » (Pierre Constant, Histoire du Concert spirituel, 1725-1790, Paris, Société française de musicologie, 2000, p. 89).

 

           Boismortier redécouvert ! Voici qu’un compositeur d’un métier sûr et d’une insatiable curiosité, aiguisée par un admirable sens des affaires – il faut bien l’avouer –, a réussi à se tailler de nouveau une place enviable sur la scène musicale contemporaine depuis les toutes dernières années du XXe siècle ! Les « Divertissements de campagne » et les « Suites de pièces pour une flûte traversière seule » arrivent donc, eux aussi, sous la houlette des Menus-Plaisirs du Roy, « dans le bon temps ». Ce répertoire, que d’aucuns voudraient encore qualifier de « mineur », véhicule, au contraire, une vision du monde et un art de vivre qui ne peuvent se réduire à un hédonisme superficiel. Déprécier cette partie de l’œuvre de Boismortier reviendrait  alors à dénigrer la plupart des aspects de la musique instrumentale du xviiie siècle et à accréditer l’idée, ô combien fallacieuse, qui viserait à ne conférer qu’à certains instruments ou qu’à certains genres une valeur intrinsèque, tout imprégnée de noblesse.

 

           Boismortier ne serait-il donc, in fine, que le porte-étendard de cette musique d’importance secondaire ? Dans l’affirmative, le premier tiers du xviiie siècle n’apparaîtrait alors que le simple reflet d’une décadence sauvée de la médiocrité par l’italianisme d’un Jean-Marie Leclair (1697-1764) ou par le génie purement français d’un Jean-Baptiste Rameau (1683-1764). Ainsi opinait-on  par le passé, ainsi quelques-uns continuent encore de penser  aujourd’hui.

 

           En observant de plus près l’ensemble de la production de Boismortier, on s’aperçoit qu’elle aborde un grand nombre de styles : la musique purement française, précisément héritée de celle des Martin Marais (1656-1728), Jacques-Martin Hotteterre (1674-1763) ou Jean-Henri d’Anglebert (1629-1691), ou encore la musique italienne. Boismortier sait composer des adagios, des allegros fugués, des traits arpégés et brillants, caractéristiques de la musique  transalpine. Le concerto, autre fer de lance de la musique instrumentale italienne, lui est tout aussi familier. Et bien sûr, notre compositeur ne se fait pas faute d’associer style français et style italien, réunissant ainsi les goûts comme François Couperin (1668-1733), Jean-Ferry Rebel (1666-1747), Jean-François Dandrieu (1656-1728) ou encore André Campra (1660-1744), pour l’opéra. Comme beaucoup d’autres, il se consacre aussi à la composition de diverses pièces de genre, aux titres souvent évocateurs. L’examen de son volumineux catalogue, si l’on se limite seulement à ses œuvres instrumentales, révèle une gamme variée, où les compositions de musique pure, dédiées à de grands solistes qui se jouent des difficultés techniques (Jean-Marie Leclair pour le violon, Louis de Caix d’Hervelois (1677-1750) pour la viole, Danguy pour la vielle), alternent avec des œuvres plus légères, destinées à un public amateur. Le principal reproche qu’on lui fait, finalement, c’est d’avoir trop composé ! Parmi son abondante production, ne faut-il donc que retenir ses pages les plus simples, arrachées à leur contexte, pour souligner une indigence qui, de fait, n’existe pas ?

 

           Comme un certain nombre de ses contemporains, Boismortier s’est adonné avec bonheur à ce qu’il est convenu d’appeler l’arcadisme, en référence à cette image épurée et idéalisée des bergers antiques, ces personnages de la pastorale héroïque aux prénoms bucoliques de Tircis, Damon, ou Philène, soupirant pour Cloris, Philis ou Amaryllis. De cette subtile vision onirique, il conserve essentiellement les instruments emblématiques de cet univers rustique sublimé : le hautbois, la flûte, la musette et la vielle. Il n’y a rien de surprenant, voire de faussement exotique à employer la musette de cour, puisque cette dernière appartient pleinement à l’instrumentarium du temps et a connu une évolution analogue aux autres instruments à vent. Héritée, comme le hautbois et la flûte, des instruments de la Renaissance, elle est passée d’une cornemuse rustique, au xvie siècle, à un merveilleux objet tant sur le plan esthétique que fonctionnel et acoustique. Le hautbois sonnait de façon éclatante et la secondait à merveille pour animer les fêtes en plein air : désormais, grâce aux innovations et ajustements des musiciens du roi, notamment les familles des Hotteterre et des Philidor, tous deux résonnent dans les tutti homogènes de l’orchestre ou dans les concerts de la Chambre. La vielle à roue rattrape un peu plus tard le groupe, aidée par de talentueux luthiers qui font connaître à cet instrument méprisé et réservé jusque-là aux mendiants et aux aveugles, une véritable métamorphose qui séduit dorénavant les meilleurs virtuoses et les amateurs les plus raffinés.

 

             « La flûte est des soupirs / le plus tendre interprète […] Le cœur fit sonner la première musette. » entend on dans La Guirlande, ballet de Rameau, sur un livret de Jean-François Marmontel (1723-1799).

Les deux instruments dialoguent ici sous la conduite d’un musicien éclectique qui se délecte dans l’univers calme et joyeux de cette pastorale que l’on surnomme aussi « La Bergerie », sans le moindre mépris. Car les bergers ne sont pas forcément de sublimes modèles antiques : tout comme les pasteurs de la crèche qui sont censés se rendre à Bethléem, nos sujets de Pan sont bien capables autant de danser gavottes et menuets, que de s’accoutrer d’habits fort anachroniques. Les pièces pour flûte ou musette vont alors alterner avec airs tendres et brunettes : on y retrouvera Céladon, Iris et Philis, mais aussi la bergère Colette... et il deviendra alors facile de dialoguer entre les instruments, soutenus par le clavecin, la viole et le théorbe « générateurs de toute belle mélodie », si l’on en croit Rameau ...et garants du raffinement et de la distinction de toute musique, fût-elle sensible à une diversité qui la fait jouer sur un mode tantôt léger, voire franchement paysan, tantôt plaintif et tendre, tantôt brillant et virtuose, ou enfin avec grandeur et noblesse,... car c’est bien ce kaléidoscope de styles et de situations qui va constituer le langage de ce monde idéalisé qui s’anime par la magie des sons et de l’ouïe.

 

            Le programme proposé ici se fonde sur plusieurs recueils de Boismortier : les Divertissements de campagne, opus 49, pour musette et basse continue (quoique facultative, précise le compositeur), et les Six Suites de pièces pour une flûte traversière seule avec la basse, opus 35, qui, elles aussi, peuvent se jouer sans accompagnement. Les pièces vocales proviennent de plusieurs publications d’airs et ont été extraites du catalogue de l’auteur en fonction de leur complémentarité par rapport au répertoire instrumental sélectionné. Le choix effectué par les interprètes s’apparente à celui qu’auraient pu effectuer des amis préparant une fête galante. Si la musique de Boismortier est ici jouée avec le plus grand respect, la flûte se permet parfois d’empiéter gentiment sur la musette en empruntant telle ou telle pièce de son répertoire, voire en rajoutant un contre-chant qui paraît improvisé et que Boismortier n’avait nullement prévu au départ. Mais que font le clavecin et le théorbe lorsqu’ils réalisent une basse ? Ne se risquent-ils pas non plus à de furtives secondes voix ? D’ailleurs, les auteurs du temps n’offraient-ils pas justement la possibilité de confier les parties instrumentales aux uns et aux autres, lorsque l’instrument préconisé faisait défaut ? Voilà pourquoi, par exemple, la flûte joue le prélude pourtant réservé à la musette, puisqu’on y trouve la technique des accords, qui nécessite le jeu simultané des deux chalumeaux de la petite cornemuse. Ne peut-elle guère en assurer la polyphonie qu’avait souhaitée Boismortier ? Le théorbe l’y aidera... Puis, un peu plus loin, voici la « version première » jouée sur la musette,  enjolivée par ce fameux effet spécifique. Lorsque les danses s’agrémentent de doubles ou variations, on continue à jouer le thème dans sa version la plus simple, tandis qu’un instrument s’échappe dans de brillants arpèges. Alors que le chanteur devrait s’exprimer seul avec la basse continue, flûte et musette se permettent des incursions tout à fait plausibles en doublant son chant, ou en jouant la mélodie sans la voix, à la manière d’une ritournelle. Non seulement la musique de Boismortier « retentit » sous les doigts habiles des musiciens des Menus-Plaisirs du Roy, mais elle le fait à la manière d’un véritable divertissement que des amis auraient pu interpréter pour leur simple agrément sous les frondaisons ou la charmille d’un jardin pour séduire les oreilles délicates de belles écouteuses...

 

Jean-Christophe Maillard.

 

 

 

 

 

Textes des airs chantés

 

 

***

 

Air sérieux :

Pleurez, pleurez mes tristes yeux,

Vous méritez la peine dont Philis a payé vos indiscrets plaisirs.

Hélas tout vous disait d'éviter l'inhumaine,

Ses charmes, sa rigueur, ma raison, mes soupirs.

 

Pleurez, pleurez mes tristes yeux,

Vous méritez la peine dont Philis a payé vos indiscrets plaisirs.

Malgré moi vos regards m'ont attiré sa haine,

Ils ont parlé d'amour, et de tendres désirs.

 

Pleurez, pleurez mes tristes yeux,

Vous méritez la peine dont Philis a payé vos indiscrets plaisirs.

 

***

Air sérieux :

Si ma mort, belle Iris, fait tout votre désir,

Tâchez par vos faveurs d'assouvir votre envie.

Qu'importe t-il pour vous si je meurs de plaisir,

Ou bien si vos rigueurs me font perdre la vie.

 

***

Musette en rondeau :

Chantez avec moi ma musette,

Chantez mon aimable Colette.

Amour, après tant de soupirs,

Tu me fais triompher du cœur de la cruelle,

Mais garde toi d'éteindre une flamme si belle,

En me prodiguant tes plaisirs.

Chantez avec moi ma musette,

Chantez mon aimable Colette.

Que mes brûlants désirs

Renaissent des faveurs :

Puisse ma bergère fidèle,

Dans mes bras être encore plus belle,

Qu'au temps où mes soupirs

Excitaient ses rigueurs.

Chantez avec moi ma musette,

Chantez mon aimable Colette.

 

***

 

Musette :

Bergère, aimez à votre tour,

C'est trop longtemps vous en défendre,

Puisque vous donnez de l'amour,

Pourquoi refusez-vous d'en prendre !

Votre cœur sera quelque jour

Obligé de se rendre :

Ah ! S'il doit un tendre retour,

N'oserais-je y prétendre

 

Quand je parle de mon ardeur,

Vous fuyez sans vouloir m'entendre ;

Le seul mot d'amour vous fait peur,

Vous venez de me le défendre :

Pour adoucir votre rigueur,

Je vous chante un air tendre ;

L'oreille est le chemin du cœur,

Ai-je tort de le prendre.

 

***

 

 

Musette en rondeau :

Ah le charmant berger que j'aime

Qu'il est digne de mon amour

Je jurerais que l'Amour même

Ne saurait lui ravir mon cœur.

Sa tendre musette m'enchante,

Sa voix est encore plus touchante,

Je l'adore, il ne le sait pas

Mais nuit et jour je chante tout bas :

Ah le charmant berger que j'aime

Qu'il est digne de mon amour

Je jurerais que l'Amour même

Ne saurait lui ravir mon cœur.

 

 

 

 

Les Menus-Plaisirs du Roy

 

Stefan Van Dyck : ténor

 

Catherine Daron : traverso

Pieter Jan Van Kerkhoven : musette de cour

 

 

Florencia Bardavid : viole de gambe

Mireille Podeur : clavecin

Simon Leleux : percussion

Jean-Luc Impe : théorbe et direction musicale

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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